Felix Baumgartner. Le grand saut
Actu-Match | mercredi 17 octobre 2012
C’est un homme d’affaires ordinaire, mallette à la main,
qui vient de pénétrer, ce 15 avril 1999, dans le hall des tours jumelles
Petronas de Kuala Lumpur, en Malaisie, sécurisées comme des forteresses. Le
businessman porte un badge. Faux. Felix Baumgartner l’a fabriqué la semaine
précédente à partir de la photo d’un passe authentique. Après le contrôle,
il prend l’ascenseur jusqu’au 88e étage. L’Autrichien a tout prévu, même la
présence des laveurs de vitres. Il a en poche, pour qu’ils ferment les yeux,
des poignées de billets qu’il distribue. Enfin seul… à 452 mètres d’altitude.
De sa mallette, il sort son parachute, s’équipe et saute. Il lui faut huit
secondes de chute libre, à 170 km/h, pour écrire une des plus belles pages
de sa légende.
Trente ans auparavant, le 21 juillet 1969, Neil Armstrong devient le premier
homme à marcher sur la Lune. Pendant ce temps, Felix dort dans son berceau.
Née trois mois plus tôt à Salzbourg, en Autriche, la graine de star ne rêve
pas encore d’inscrire son nom dans le grand livre des records. Avant d’être
le premier homme à plonger dans le vide à près de 40 kilomètres du plancher
des vaches, puis à franchir le mur du son vêtu d’une simple combinaison, le
protégé de la célèbre société autrichienne de boissons énergisantes avait
connu une enfance agitée. « Depuis toujours, il aime prendre des risques.
Petit, il passait son temps à grimper dans les arbres », confie Eva, sa
maman, présente à Roswell, Nouveau-Mexique, le jour J. Adolescent, le futur
héros révèle son penchant pour la vitesse, s’enthousiasme pour le rallye et
s’initie au motocross. A 16 ans seulement, il débute le parachutisme. Une
révélation. Mû par le désir de voler, l’apprenti mécanicien s’engage pour
cinq ans dans l’armée. Après avoir tâté du blindé, il intègre les Forces
spéciales en tant qu’instructeur parachutiste et se spécialise dans les
atterrissages en zones ciblées. Mais, très vite, Felix s’ennuie dans son
costume kaki. Allergique à l’autorité, il se fait virer. En perpétuelle
quête d’ivresse, le jeune rebelle découvre alors la boxe, passe
professionnel à 23 ans et gagne par KO son premier combat.
Sa plus grande peur est de partir avant sa mère. A
chaque saut, il la fixe longuement dans les yeux
Pas suffisant pour étancher sa soif d’aventures. Le surdoué raccroche les
gants. Felix Baumgartner cherche encore sa voie. Elle passe par les airs.
Le dépassement de soi fait partie de son ADN, comme il se plaît à le
répéter. « Tout le monde connaît ses limites, concède-t-il. J’ai toujours
considéré que je faisais partie de ceux qui ne les acceptaient pas. » C’est
avec un état d’esprit commando que ce proche d’Arnold Schwarzenegger
pénètre l’univers du base jump, discipline extrême consistant à sauter de
n’importe où, mais pas n’importe comment. L’homme supersonique se défend
d’être un casse-cou. « Tout est une question de préparation. Il faut faire
ses devoirs, voilà tout. Je déteste qu’on dise de moi que je suis un amateur
de sensations fortes, un drogué d’adrénaline. Je ne suis pas comme ça.
J’aime que tout soit planifié », déclarait-il à l’issue de son saut
historique. C’est pourtant avec une certaine dose d’inconscience qu’il
signe, en 1999, ses deux premiers exploits. Deux ans après avoir acquis le
statut de base jumper professionnel, il se fait un nom en établissant deux
records du monde : celui du plus haut saut en parachute depuis un immeuble
en s’élançant des fameuses tours Petronas de Kuala Lumpur, puis celui du
plus bas en plongeant dans le vide de la main du Christ rédempteur de Rio de
Janeiro, à 38 mètres du sol. Téméraire mais prévoyant, l’Autrichien volant
rédige son testament la veille de ce saut qui fait aujourd’hui la couverture
de certains livres scolaires.
« Apprends à aimer ce qu’on t’a appris à craindre », se borne-t-il souvent
à répondre à ceux qui l’interrogent sur sa capacité à vaincre la peur. Felix
Baumgartner, alias code 502, son numéro d’enregistrement auprès de
l’association américaine de base jump, n’en a pas fini avec les actes de
bravoure. Jamais en panne d’imagination, il se fait tatouer l’inscription «Born
to fly» sur l’avant-bras droit et relève d’autres défis. La Manche est le
théâtre d’un nouveau coup d’éclat. Le 31 juillet 2003, il relie l’Angleterre
à la France accroché à une aile en fibre de carbone. Un an plus tard, il
baptise, à sa manière, le viaduc de Millau en effectuant un saut de 343
mètres depuis la rambarde. Fin 2007, enfin, peu de temps avant le lancement
de la mission «Stratos», il est le premier à s’élancer du 91e étage de la
Taipei 101, à Taïwan, alors le plus haut gratte-ciel du monde.
Baumgartner compte ainsi près de 2500 sauts extrêmes à son actif. Mais à la
maison, son addiction ne fait pas l’unanimité. De condition modeste, son
père, Felix senior, n’a jamais compris les motivations de son fils et encore
moins les raisons qui poussent les sponsors à le payer pour sauter.
Pragmatique, ce fils de cheminot aurait aimé que Junior ait un vrai métier,
comme son frère cadet, Gerald, cuisinier de son état et papa d’un petit
garçon. Heureusement, l’enfant terrible a toujours pu compter sur le soutien
indéfectible de sa mère. Même si les desseins de son Felix lui échappent
par moments, Eva Baumgartner n’a jamais tenté de le dissuader. Elle gère ses
finances, répond au courrier des fans, lui cuisine régulièrement de bons
petits plats et... va allumer un cierge à l’église à chacune de ses
tentatives. « Elle joue un rôle clé dans ma carrière, avoue celui qui lui
met souvent les nerfs à vif. Bien sûr, elle s’inquiète pour ma santé, mais
elle sait que tout est mis en œuvre pour assurer ma sécurité. »
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